12/12/2024 : Séance publique de l’Académie à l’hôtel de ville de Nantes

Comme chaque année à pareille époque, l’Académie littéraire de Bretagne et des pays de la Loire a tenu sa séance de fin d’année Salle Paul Bellamy, à l’hôtel de ville de Nantes. Devant une salle comble, Dominique Pierrelèe, son chancelier, a ouvert la réunion publique par un mot d’accueil. Au nom de Madame Johanna Rolland, maire de Nantes, Emilie Bourdon, conseillère municipale de Nantes, déléguée Culture et proximité, développement des pratiques amateur, développement du sport au féminin, plan handisport, lui a ensuite répondu. Elle a notamment rappelé, dans ses propos, l’intérêt porté par la municipalité à l’action poursuivie par l’Académie en faveur de la lecture et de la littérature.

Dominique Pierrelée, chancelier de l’Académie, ouvre la séance.

Patrick Barbier, vice-chancelier de l’académie, a ensuite animé la séance, passant le relais de façon successive aux différents intervenants.

De gauche à droite : Sandrine Bachmeyer, Marc Bouiron, Emilie Bourdon,
Michel Jullien, Teodoro Gilabert

Jean-François Caraës, orchestrateur du cahier de l’académie, fut convié à venir présenter l’édition 2025 de cette publication, ayant pour titre Un esprit de révolte. La question est en effet posée du lien de cet intitulé avec l’histoire des comportements où la propension de certains lieux à l’engendrer. Nantes s’est souvent manifestée à cet égard tout comme Saint-Nazaire ; éruption de défiance voire embrasement, « aux chantiers », chez les métallos, les étudiants ou encore parmi toute autre entité sociale.

On peut y déceler toute une chronologie événementielle dans la mise à feu. Le sentiment de révolte enflamme la personnalité humaine d’une manière collective mais aussi individuelle. Le philosophe ou le journaliste engagé y est souvent sensible lorsqu’il est conduit à bâtir une réflexion ou à se positionner. L’artiste en est aussi empreint, André Breton ou Hervé Bazin par exemple, et il est seul à pouvoir gérer cette émotion créatrice.

Confrontées à des conditions de vie misérables, les sardinières de l’usine Carnaud, à Douarnenez, se mirent en grève en 1924. Le mouvement se propagea en quelques jours aux 21 usines de l’agglomération qui basculèrent dans une grève de 42 jours, exceptionnelle par sa détermination et sa longueur. Les 2000 ouvrières demandaient 25 sous supplémentaire de l’heure. Même si vingt sous seulement leurs furent accordés le 6 janvier 1925, l’important fut la fierté de leur combat et son empreinte dans la mémoire ouvrière.

Jean-Jacques Le Goarnig et son épouse, vinrent s’installer en 1946 à Boulogne, dans la banlieue parisienne, avec leurs six enfants (Garlonn, Patrig, Katell, Gwenn, Yann, Morgan, Brann), déjà régulièrement inscrits dans l’état-civil sous leurs prénoms bretons. L’officier d’état civil de leur commune de résidence leur refusa l’enregistrement des autres enfants qui naquirent au foyer du couple, au prétexte de la loi du 11 germinal an XI) : Adroboran (24 janvier 1956), Maiwenn (7 janvier 1957), Gwendall (15 octobre 1958), Diwezka (13 août 1960) et Sklerijenn (20 octobre 1961).
Parias de l’administration, les Goarnig furent privés d’état-civil, sans papiers, ni existence légale. Sans droits sociaux ni allocations familiales, ils se retournèrent vers l’Onu et la Cour européenne de La Haye qui adressa aux enfants une carte d’identité spéciale avec le statut de « citoyens européens de nationalité bretonne ». La loi du 11 germinal an XI ne fut abrogée qu’en 1964.

L’estuaire de la Loire …

Plus apaisé que le premier, le second volet du cahier 2025 porte sur l’estuaire de la Loire, peut-être lui-aussi un fleuve en révolte confronté à l’érosion de son écosystème originel. Un guide de visite pour le voyageur, une sorte de rêvasserie, une invite à suivre les rives estuariennes à la manière d’Arthur Young ou de Patrick Deville, avec cette curiosité qui attise la mémoire des lieux.

Dans l’action : Guerres et mouvements sociaux

  • Août 1308 : et si les Nantais s’étaient révoltés… (Philippe Josserand)
  • De l’apathie nantaise face à la Commune en 1871 à Nantes révoltée (Xavier Noël)
  • 1924 : la grève des sardinières de Douarnenez (Colette Le Lay)
  • Mon oncle Émile Rosai Brante (1900-1951) (Jean-Louis Liters)
  • Histoire de famille – Révolte… ou obéissance ? (Jean Amyot)
  • Un regard sur Mai 68 en pays nantais, dans l’œil de Yannick Guin (Michel Valmer)
  • Blocages et occupations de l’université (Denis Moreau

Dans l’esprit (mouvements intellectuels et démarches individuelles)

  • « Lâchez tout ! » Le Surréalisme comme révolte (Henri Copin)
  • Le combat d’Étienne Coutan, architecte voyer de la ville de Nantes (Gaëlle Péneau)
  • Hervé Bazin, le « grand méchant doux » (Jacques Boislève)
  • Cités du livre : une subversion tranquille (Michel Germain)
  • La famille Le Goarnig, un combat pour des prénoms (Annie Ollivier)
  • De la considération, de l’empathie… Une révolution à venir ? (Noëlle Ménard)
  • L’estuaire de la Loire, ou le contrôle de l’énormité (Pierre Perron)
  • Franchir l’estuaire, quel estuaire ? (Jean-François Caraës)
  • Relations épistolaires sur l’estuaire de la Loire (Loïc Ménanteau)
  • Arthur Young traverse l’estuaire (1788) (Dominique Pierrelée)
  • Au bout du bout du monde – Paimboeuf en 1946 (Véronique Mathot)
  • Loire, mode d’emploi, nouvelle (Henri Copin)
  • Saint-Nazaire est un roman sans fiction (Patrick Deville)
  • Constat d’estuaire – Le quai (Michel Jullien)
  • De quelques traducteurs et passeurs de cultures (Henri Copin)
  • Alain Mabanckou, résonances et diversité culturelle (Claire Giraud-Labalte)
  • Face à face à Naples : José de Ribera et Éric Fonteneau (Claire Giraud-Labalte)
  • Fenêtre sur l’Europe à l’Académie (Claire Giraud-Labalte)

Cette quatrième et dernière partie évoque :

  • Les membres disparus de l’académie au cours de l’année passée ;
  • La réception de deux nouveaux membres (Gaëlle Péneau et Alain Mabanckou) ;
  • Les activités et manifestations auxquelles a participé l’académie ;
  • La remise des différents prix : Grand Prix Jules Verne pour Voir l’invisible, Prix de Poésie remis à Hervé Carn, Prix de Loire-Atlantique à L’architecture privée à Nantes au XVIIIe siècle, Prix de l’Académie pour Le chien des étoiles
  • Les publications des académiciens ;
  • Les distinctions, réalisations et participations des académiciens.

Teodoro Gilabert recoit d’Emilie Bourdon la médaille de la ville de Nantes.

Rappelant la formule de Charles Péguy, suivant laquelle « Aujourd’hui n’est pas le lendemain d’hier. Il est au contraire la veille de demain », Michel Germain souligna que présenter un nouveau membre de l’académie s’apparente à un exercice d’équilibriste, l’espace d’un instant, entre hier (son œuvre passée et ce qui l’explique) et demain (ce qui le projette, en devenir).
Pour l’essentiel, l’œuvre littéraire de Teodoro Gilabert s’exprime dans six romans publiés chez Buchet Chastel de 2007 à aujourd’hui, deux biographies romancées et l’inclassable Fontaine, dans lequel l’urinoir de Marcel Duchamp prend la parole et s’exprime sur sa fonction esthétique.
Inspiré par l’art et les artistes, cet auteur s’est intéressé à des plasticiens (Martial Raysse, Marcel Duchamp, Yves Klein, Kandinsky) ou musicien (Bob Marley). Il évoque notamment la synesthésie de Kandinsky (association des sons et des couleurs) qui fut peintre mais également violoncelliste.
Teodoro Gilabert est également géographe (agrégé de géographie, auteur d’une thèse de doctorat intitulée : La géographie de l’art contemporain en France), enseignant (désormais à la retraite), plasticien, marin, épris de natation.
Son premier ouvrage publié, Les pages roses (2007) s’apparente à un roman d’initiation, évoquant un étudiant sage et timide, influencé dans sa perception du monde par les citations des pages roses (édition de 1968 du Petit Larousse). Une locution latine ou grecque introduit chaque chapitre et la fin se termine sans surprise en « queue de poisson » (Desinit in piscem).
Fertiles en réminiscences, ces pages roses s’ouvraient sur Ab absurdo pour se clôre sur Vox populi, vox Dei. Le facétieux Jacques Prévert travestira cette locution en « Vox Populi vexe Dei ! Pages rousses du petit Larose. » (Spectacle, 1951). Sans parler de Goscinny qui y puisera le florilège des expressions d’Astérix.


Le dernier livre paru de Teodoro Gilabert, Plages intérieures, publié en 2024, prend la forme d’une fantaisie autobiographique évoquant les résonnances personnelles suscitées par la succession des plages qu’il évoque (Lénine à Pornic, la plage des Catalans à Marseille, Coney Island à New York, les salles du Musée des Arts de Nantes). L’ouvrage se rapproche, dans la tonalité qui le sous-tend, au documentaire Les plages d’Agnès d’Agnès Varda. Réalisé en 2008 à l’occasion des 80 ans de la cinéaste, ce dernier rappelait de façon rétrospective le cours de son existence, des plages belges de son enfance aux quai de Sète, jusqu’à sa maison emblématique de la rue Daguerre.

Synthèse biographique (Teodoro Gilabert) :

  • Né le 20 juillet 1963 à Valence en Espagne
  • Enfance à Varades, au bord de la Loire
  • Lycée à Ancenis
  • 1981 : Ecole Normale d’Instituteurs à Nantes
  • 10 ans d’enseignement dans le primaire

Etudes de géographie à l’Université de Nantes :

  • Agrégation d’histoire et de géographie
  • Diplôme d’Études Approfondies en Géographie de la mer
  • Thèse de doctorat de géographie La géographie de l’art contemporain en France
    (Université de Nantes 2004)

Écrivain depuis 2007 (Buchet Chastel)

  • Les pages roses (2007)
  • La Belle Mauve (2010)
  • L’amer orange (2012)
  • Je transgresserai les frontières (2017)
  • Resurrection song (2020)
  • Plages intérieures (2024)

Biographies romancées :

  • 2013 : Outremer 1311, chez Arléa en 2013
  • 2020 : réédition Quelques nuances de Klein
  • 2023 : Kandinsky, Musik !, chez Invenit.
  • 2017 : Fontaine (Autobiographie de l’urinoir de Marcel Duchamp), l’Oeil ébloui (2017)

Autres précisions :

  • Publication d’articles dans des revues scientifiques dont Les annales de géographie
  • Cours à l’Institut de géographie et à l’université permanente de Nantes
    • (notamment sur les littoraux et sur l’art contemporain)
  • Professeur au lycée du Pays de Retz à Pornic jusqu’en juillet 2024
  • Artiste et amateur d’art (art moderne et contemporain)
  • Pratique artistique « géographe plasticien »
  • Marin, pratique de différents sports nautiques en compétition
  • Adepte des bains de mer en toutes saisons

Michel Jullien

Henri Copin rappela qu’avant de se vouer à l’écriture, Michel Jullien, alpiniste, a escaladé les meilleurs sommets des Alpes et des Pyrénées, une centaine. Et puis il est descendu vers l’estuaire de la Loire, à la rame d’abord, puis à pied. Il vit à Paimboeuf, devant le fleuve qui paresse à ses pieds. Ces expériences nourrissent son œuvre.
En marge de son œuvre romanesque menée chez Verdier, Michel Jullien livre aussi avec Les Combarelles une réflexion sur les grottes ornées du Paléolithique sous forme d’essai, d’échappée, de rêverie chargée de cette tendresse liée à son approche stylistique. Et plus largement, il organise à Paimboeuf des expositions autour de photographes, parfois méconnus ou oubliés, amateurs de montagne ou observateurs du social.
Au fil de son œuvre, Michel Jullien écrit au plus près de personnages inattendus, singuliers, il entre dans leur invisible armé d’une imagination fertile, d’un humour souterrain et empathique et d’une langue rare et ciselée comme une partition musicale.
Il peut ainsi raconter les tribulations du responsable d’un atelier parisien de copie de manuscrits en 1370 avec Esquisse d’un pendu (Verdier, 2013), ou bien la vie d’un mécanicien auto crétois, pêcheur amateur et sourd-muet dans Yparkho (Verdier, 2014). Avec Denise au Ventoux (Verdier, 2017), Michel Jullien interroge l’animalité, qui est au cœur du livre, et la part animale du narrateur, à travers le récit d’une étrange amitié entre Denise, un bouvier bernois femelle, et le narrateur. Tous deux s’offrent une escapade de quatre jours au mont Ventoux.
Les nouvelles de Vu d’un cercle s’attachent à divers personnages, modestes, voire invisibles, et interroge leurs destins.

  • 1962 : Naissance, près de Paris.
    • Etudes littéraires
    • Enseigne à l’université fédérale du Para, au Brésil
  • Retour en France :
    • Dix ans d’édition chez Hazan
    • Larousse
    • Anime une maison d’édition spécialisée dans les arts décoratifs :
      Les éditions de l’Amateur
  • 2017 : Installation à Paimboeuf
  • Écrivain : Auteur de plusieurs livres, romans, recueil de nouvelles, récits, essais, sur l’image ou sur l’estuaire de la Loire.
  • Aux éditions Verdier : 
    • Vu d’un cercle, nouvelles, (2024)
    • Andrea de dos (2022)
    • Intervalles de Loire (2020)
    • L’île aux troncs (2018)
    • Denise au Ventoux (2017)
    • Yparkho (2014)
    • Esquisse d’un pendu (2013)
    • Au bout des comédies (2011)
    • Compagnies tactiles (2009).
  • Chez d’autres éditeurs :
    • Constat d’estuaire (La Guêpine,2024)
    • Les Combarelles (L’écarquillé, 2017)
    • Mont-Blanc, premières ascensions
      (éditions du Mont-Blanc, 2012)
    • Alpinisme et photographie : 1860-1940
      (avec Pierre-Henry Frangne et Philippe Poncet, Amateur éditions, 2005)
  • Prix littéraires :
    • Naissance d’une œuvre 2022 
      (Andrea de dos
    • Matinale de l’ENS (L’Île aux troncs)
    • Franz-Hessel 2018 (Denise au Ventoux)
    • Prix littéraire 30 Millions d’amis 2017
      (Denise au Ventoux)
    • Prix de Tortoni 2015 (Yparkho)

En complément des différentes distinctions déjà attribuées par l’académie pour une œuvre littéraire (Prix de l’académie, Grand Prix Jules Verne, Prix de Loire-Atlantique, Prix de poésie Yves cosson), Xavier Noël présenta la philosophie du Prix du livre Sciences et société nouvellement créé, afin de mettre en luière un ouvrage dont la dimension scientifique répond aux grands enjeux de société.
Pour sa première attribution, ce prix a été décerné à l’Atlas archéologique de la France, une coédition Inrap et Tallandier, ouvrage collectif dirigé par Dominique Garcia et Marc Bouiron. Illustré de nombreuses cartes d’Aurélie Boissière, géographe et cartographe, il rassemble les textes de 12 autrices et auteurs. Paru le 23 novembre 2023, l’ouvrage a connu un vrai succès éditorial puisqu’il fut épuisé rapidement avant de revenir en librairie.


Conversation :
Animée par Xavier Noël, une conversation autour de l’Atlas archéologique de la France, associa Philippe Guillet, directeur du Muséum de Nantes, Marc Bouirou et Sandrine Bachmeyer.
Xavier Noël rappela que l’objectif  de ce prix était de valoriser des ouvrages (documentaires, fictions, bandes dessinées…) ayant un caractère scientifique répondant aux grands enjeux de société. Les angles retenus peuvent être multiples : faire découvrir la démarche scientifique, développer la connaissance du patrimoine scientifique et technique, comprendre les ressorts de nos sociétés technologiques, faire connaître le monde de la recherche, susciter des vocations scientifiques, ou encore découvrir la vie et l’œuvre de celles et ceux qui ont contribué aux avancées scientifiques. Ce prix bénéficie du soutien de Nantes métropole.
Pour sa première édition en 2024, le jury composé de 11 membres (8 membres de l’Académie et 3 partenaires (Muséum d’histoire naturelle, association des Copains du Muséum, Pôle de Culture scientifique technique et industrielle), a apprécié une réalisation devenue dès sa parution un ouvrage de référence. Il traite de l’archéologie sous des angles variés et parfois nouveaux afin de rendre compte d’une humanité plurielle. L’approche retenue enrichit la vision que l’on peut avoir de l’archéologie, à la croisée de nombreuses disciplines scientifiques.
Une archéologie qui s’intéresse à une large palette d’aspects de la vie sociale au cours de l’Histoire, ainsi qu’à notre époque récente pour ce qu’elle engendre notamment en matière d’impact environnemental. Ainsi, l’archéologie aide-t-elle à comprendre le passé et à penser le présent face aux enjeux du futur. Bien maquetté, avec des explications simples et claires, le livre est remarquable aussi pour sa cartographie et son iconographie.
Le prix fut remis à Marc Bouiron, Directeur scientifique et technique de l’Inrap, en présence de Sandrine Bachmeyer, éditrice à la Direction du développement culturel et de la communication de l’Inrap.

Remise de la médaille de la ville de Nantes

En clôture de la séance Émilie Bourdon remit à Teodoro Gilabert, Michel Jullien et Marc Bouiron, la médaille de la ville de Nantes, avant le sympathique cocktail offert par la municipalité.

Dominique Pierrelée, Jean-François Caraës, Marc Bouiron, Teodoro Gilabert, Michel Jullien.